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Collectif du Pervou
13 août 2018

Lettre ouverte au Conseil d'Etat

 

 

Quelle que soit sa situation, un canton ne devrait pas malmener son école !

L’éducation n’a pas de prix mais l’école a un coût. Cela dit, l’école ne saurait se trouver, dans quel que contexte que ce soit, livrée aux affres de la conjoncture !

La crise que l’Ecole neuchâteloise traverse depuis un an, symbolisée par le combat mené contre l’introduction d’une nouvelle grille salariale, révèle le très grave fossé creusé au cours de ces dernières années, entre son rôle et ses missions et l’absence de moyens pour les exercer.

Permettez-nous dès lors, Monsieur le Président du Conseil d’Etat, suite à votre appel  à toutes les forces constructives de ce canton, de vous adresser ces quelques lignes, tentant une brève analyse de la situation et jetant quelques propositions de mesures possibles pour remédier à cette situation.

Aujourd’hui, après plusieurs mois de contacts divers avec des autorités communales – villes et campagne –, des présidentes et présidents de comités scolaires, des membres de directions d’écoles et de très nombreux enseignants, nous tenons à vous exprimer notre vive inquiétude pour l’avenir de l’Ecole neuchâteloise. Depuis 2012, par le biais de plusieurs prises de positions, notre Collectif a tenté de tirer la sonnette d’alarme auprès de diverses instances, sans jamais avoir le sentiment d’être entendu, ni même écouté. Si nous cédons aujourd’hui à cette façon de faire, c’est parce que tous nos interlocuteurs ont été unanimes à évoquer la gravité de la situation, regrettant d’autant plus amèrement le fait de n’être pas entendu par l’autorité cantonale.

La détérioration de la situation observée de ces dernières années nous amène aux causes du désarroi paroxystique évoqué par les acteurs de l’école, causes tout à la fois structurelles et conjoncturelles.

Remédier à la surdité de l’autorité cantonale en écoutant celles et ceux qui font l’école

Les récentes mobilisations du corps enseignant et les mesures décidées par le Conseil d’Etat pour y mettre fin sonnent comme un cinglant désaveu pour le Service de l’enseignement obligatoire, censé jouer un rôle de courroie de transmission privilégiée entre l’Ecole et le « Château ». Pour preuve, les améliorations des conditions de travail proposées par le Conseil d’Etat pour stopper la crise ont été plébiscitées par 80% du corps enseignant, signifiant ainsi qu’elles répondaient à de fortes attentes des professionnels de l’éducation pour qui la détérioration du cadre de leur activité professionnelle met en danger le cœur de leur mission, soit l’élévation des enfants qui leur sont confiés.

Mme la Conseillère d’Etat Monika Maire-Hefti, sans doute mal conseillée car estimant pouvoir s’appuyer sur la seule expertise de son entourage, a choisi de ne pas tenir compte des signaux d’alarme régulièrement activés pas les associations professionnelles et notre « observatoire » de l’Ecole neuchâteloise. Elle a heureusement pu compter sur ses collègues du Conseil d’Etat pour sortir de cette ornière, qui, en la circonstance, se sont investis pour apaiser la situation et agir en lieu et place du Service de l’enseignement obligatoire et du département de l’éducation et de la famille (DEF) apparemment débordés par une réalité trop longtemps occultée et arque-boutés sur des préoccupations administratives et intercantonales

 

Régionalisation de l’école : une articulation insatisfaisante entre canton et régions

Ce qui est vrai pour les enseignants l’est tout autant pour les autres acteurs incontournables de l’institution scolaire, les responsables politiques et les directions des différents cercles scolaires. Force est de constater que l’autorité cantonale peine considérablement à agir pour que la régionalisation de l’école puisse déployer tous ses effets positifs. Certes nul système n’est parfait, mais une sorte de désenchevêtrement des tâches entre canton et cercles scolaires doit absolument être opéré, de manière à sortir de ce « mi-chemin » contre-productif.

Sur le papier, tout paraît clair. Le canton fixe les grandes orientations pédagogiques et veille à ce que les prestations publiques en matière scolaire soient équitables, partout sur le territoire cantonal. Les cercles scolaires, quant à eux, disposent d’une autonomie suffisante pour coller au plus près des besoins des familles de leur bassin de recrutement, de manière à répondre efficacement aux réalités de leurs régions respectives.

Dans la réalité, le Service de l’enseignement obligatoire, dont le chef n’a jamais accepté d’être rétrogradé au rang de chancelier de l’Ecole neuchâteloise alors qu’il en était, auparavant, le président, semble tout mettre en oeuvre pour rendre la vie dure aux différents cercles scolaires qui, de surcroît, peinent à coordonner leurs visions et demeurent trop soumis au joug cantonal. Le projet de subventionnement de l’école au travers d’un coût par élève plutôt que par le traitement des enseignants, en est une belle illustration. Outre qu’il ouvre la voie au bon éducatif, solution en vogue dans quelques pays anglo-saxons et leurs affidés mais catastrophique pour un canton tel que le nôtre, aux réalités hétérogènes, il tente d’instaurer une uniformisation par le haut, un égalitarisme d’un autre âge qui, pour le coup, rappelle plus les tares du communisme que les méfaits d’un libéralisme forcené ! Parlons clair : ce genre de projet démontre clairement que l’Ecole neuchâteloise n’a plus de boussole, naviguant à vue même, dans des projets prospectifs ! Seule l’abnégation du corps enseignant permet d’éviter le naufrage, à l’image de la mise en place plus que poussive de la réforme du cycle 3 de l’école obligatoire. Premièrement, le canton décide de ne pas mettre les moyens nécessaires à un changement pédagogique majeur, pénalisant ainsi la belle philosophie intégrative dictant la réforme et laissant des enseignants démunis incapables de mettre en œuvre une pédagogie différenciée. Deuxièmement, il continue de s’arroger le pilotage exclusif du projet, même s’il consulte les directeurs, alors que la vérité sur les difficultés rencontrées et les remédiations à apporter ne peuvent provenir qu’exclusivement du terrain, où, contrairement à ce qui a été pensé au sein de groupes de travail cantonaux, rien ou presque ne se traduit comme on l’avait imaginé.

Que dire enfin de l’enseignement spécialisé, plus globalement du suivi scolaire des élèves aux « besoins éducatifs particuliers » ? Malgré une adhésion tardive – janvier 2013 - à l’Accord intercantonal en matière de pédagogie spécialisée, le canton en a tellement peu fait en la matière -la philosophie intégrative ne s’est toujours pas traduite dans la pratique, faute de moyens - qu’il met trop souvent en grande difficulté un corps enseignant dans l’impossibilité de gérer les apprentissages et les comportements des élèves concernés, dans des classes à trop grands effectifs.

 

Comment économiser dans l’école la moins chère de Suisse ?

L’Ecole neuchâteloise est connue pour être la moins chère de Suisse. Dès lors, comment et où économiser davantage encore, tout en maintenant une institution de qualité ?

Le Conseil d’Etat a choisi de réduire les salaires des plus jeunes enseignants, avec une nouvelle grille salariale préservant et même créant, d’une part, de nouvelles inégalités au sein de la corporation enseignante, pire, accélérant, d’autre part, le risque d’exode d’enseignants. Cette grille révèle ainsi une cruelle absence de vision et une piètre image d’une profession au service de la jeunesse. Car, dans un contexte de renouvellement du corps enseignant, au sein de cantons romands « payant » tous mieux que Neuchâtel, l’évolution logique ne peut qu’être un développement assez massif du travail frontalier dans le domaine de l’enseignement. C’est d’ailleurs déjà le cas dans certaines régions du canton !

Cependant, des pistes d’économies conjoncturelles existent, qui ne toucheraient pas à la qualité de l’’enseignement, bien au contraire. Le gel, durant une période à définir, de toute formation et autres formes de recyclages induits par une application rigide d’un plan d’études romand qui a d’ores et déjà démontré ses limites. Une suggestion, par ailleurs et à ce propos : l’abandon de la notion-même de recyclage, le corps enseignant ne ressemblant pas à des bouteilles en pet usagées que l’on va convertir en tuyaux de chantier ! La formation continue doit répondre prioritairement aux besoins exprimés par les enseignants et non pas aux injonctions de l’autorité cantonale qui n’a pas modifié ses pratiques unilatérales et frontales dans ce domaine depuis plusieurs dizaines d’années. On pourrait ainsi, autre exemple d’économies, stopper l’imposition et la distribution automatique de moyens d’enseignement inutilisés par le corps enseignant car inadéquats en regard des besoins des élèves. On pourrait encore revenir à des pratiques de remplacements et/ou de stages avec les étudiants de 3e année de la Haute Ecole pédagogique (HEP) pour disposer de forces vives afin de dispenser des appuis absolument nécessaires dans certaines classes. Enfin, un dernier exemple de déficit pédagogique ayant engendré des coûts supplémentaires, l’application rigide des horaires-blocs, dans les deux premiers degrés du cycle 1 notamment, pénalisant la différenciation des degrés. Ainsi, en privilégiant la « garde » des enfants, on pénalise les apprentissages de ceux-ci.

On le voit, même dans une école fortement amaigrie depuis des années, des pistes d’économies intelligentes et réfléchies existent, en ne craignant pas d’adopter de nouveaux modes de fonctionnement qui se substituent, et non se superposent, aux anciens.

Ainsi, le corps enseignant disposerait à nouveau de conditions-cadre à même de favoriser les apprentissages de tous les élèves. Car, ne soyons pas dupes… Aujourd’hui, les effets positifs des trop nombreux changements d’ordre méthodologique n’ont largement pas été démontrés. Si l’excellence est toujours présente, chez une bonne partie des élèves issus de l’école obligatoire, le niveau des plus démunis a très nettement régressé, engendrant trop souvent des troubles du comportement qu’une philosophie préventive aurait souvent pu éviter.

Face aux multiples défis d’un avenir non défini, l’éducation apparaît comme un atout indispensable pour permettre à nos sociétés de poursuivre sa progression vers des idéaux de paix, de liberté et de justice sociale. Dans ce contexte, le Collectif du Pervou tient à réaffirmer sa foi dans le rôle essentiel de l’éducation. Oui, Monsieur le Président du Conseil d’Etat, l’éducation est plus que jamais une utopie nécessaire, dans le contexte de ce début de siècle marqué par le bruit et la fureur et dans lequel l’angoisse se dispute avec l’espoir. C’est pourquoi, il nous paraît impératif que toutes celles et tous ceux qui se sentent une responsabilité citoyenne au sein de nos démocraties accordent leur attention aux finalités de l’éducation et aux moyens confiés à l’éducation.

Telle est, Monsieur le Président du Conseil d’Etat, notre contribution à la réflexion plus globale, inévitable à notre sens, qui sera sans doute initiée suite aux manifestations du corps enseignant durant cette année 2016.

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